Nacer Boudiaf : on ne guérit pas les maux profonds par des mots creux
"L’Algérie est un pays qui n’a pas de chance – Ses enfants se jalousent, manquent d’esprit de discipline et de sacrifice. Ils se plaisent dans l’intrigue. Ils oublient l’essentiel pour le futile. L’avenir me parait incertain. Les imposteurs, les malins risquent d’imposer leur loi – Quelle légalité, quelle liberté pouvons-nous attendre de telles mœurs ? La liberté se gagne sur les champs de bataille. C’est entendu. Mais elle se gagne aussi lorsque le citoyen domine ses mauvais instincts et ses mauvais penchants. Et surtout lorsque il respecte la loi", disait Ferhat Abbas dans son livre Autopsie d'une guerre
Aussi, et dès 1963, Mohamed Boudiaf, dans la conclusion de son livre « Où va l’Algérie », notait pour sa part qu’ «Il ne suffit plus de dire ce qui doit être fait, il faut indiquer comment le faire. Il me semble avoir assez nettement insisté sur la nécessité d’un bouleversement total du système existant : aucune lutte n’est possible à longue échéance dans le cadre du régime actuel… Ben Bella est l’incarnation du régime, dans ses contradictions et ses tournants. De même qu’à Tlemcen, il a su ménager les intérêts variés des uns et des autres, de même il pratique aujourd’hui un équilibre entre les forces qui comptent ; il n’y a pas de principes dans ses engagements, mais une adaptation opportuniste aux hommes et aux événements pour demeurer au pouvoir.»
Dans ces deux sentences d’actualité pertinente de deux grands hommes, Abbas et Boudiaf, aux horizons politiques pourtant différents, il y a un point commun : les deux hommes ont compris, même très tôt, que le système placé pour confisquer l’indépendance au peuple, est un système basé sur les intérêts d’hommes et de clans. Le système perdure en veillant à l’équilibre des forces occultes qui tirent les ficelles et qui, sans état d’âme, placent des agents véreux derrière les rideaux pour assassiner ceux qui les dérangent, comme Mohamed Boudiaf en juin 1992, ou étrangler d’autres hommes comme Abbane, Khider, Krim, et beaucoup d’autres hommes encore qui auraient pu, par leur sagesse, probité, clairvoyance, offrir à notre pays les moyens de décoller et de figurer parmi les pays qui sont sur le podium mondial.
Le système hérité de l’indépendance confisquée a transformé la vie politique en Algérie en un faux choix des candidats aux différentes élections. Mais la vie politique c’est d’abord et avant tout le choix de la manière de vivre. Dans cette perspective, depuis 1962, le peuple n’a jamais été consulté sur «la manière de vivre».
On lui a imposé le système du parti unique, le socialisme, la fausse démocratie, l’arrivée d’un certain islamisme, puis le libéralisme à outrance, basé sur l’importation systématique de tous les produits véhiculant divers systèmes culturels.
Quel avenir pour l’Algérie ?
Le système a aussi fait en sorte de faire oublier qu’un homme, même s’il est sot, il ira certainement plus loin qu’un homme intelligent qui reste assis à ne rien faire. Et c’est là le crédo du système, il a tout fait pour que rien ne marche. Il a bloqué l’école, l’Université, l’hôpital, la banque, la justice, le logement, l’agriculture, le commerce, la pensée, etc. Ainsi certains pays qui avaient dans les années 1960, adopté des systèmes dits «sots» mais qui marchaient selon leurs capacités, sont arrivés maintenant à des résultats fulgurants. Par respect à mon pays, je ne voudrais donner aucun nom de ceux qui nous ont dépassés. Mais une simple lecture des classements établis par l’ONU, rendent ce que je dis d’une évidence insultante pour le peuple algérien.
Nous sommes à la veille d’élections présidentielles. Quel avenir attend le pays. La question est plongée dans l’incertitude la plus certaine. L’avenir chez les sages, ce n’est pas ce qui va arriver dans le futur, mais c’est bien ce qu’on en veut faire. Et la vraie question est : «Que veut faire le système de l’avenir du pays». Pour ma part, je distingue ceux qui ne savent pas, ceux là sont de simples ignorants. Et ceux qui savent et se taisent, comme ils se sont tus, ces dernières cinquante années, ceux-ci sont les pires criminels. Il est temps de rompre le silence. Il est temps d’inaugurer une nouvelle ère basée sur l’avenir et non le passé.
Dans le chaos orchestré depuis l’indépendance confisquée à nos jours, le système a réussi à instaurer, au sein du peuple, la philosophie de l’échec, la culture du retard, le crédo de l’ignorance, l’adoration de la sottise, l’amour de l’arrogance, le prêche de la haine et l’envie, ne voir le salut que dans l’étranger, et même dans la distribution de la misère, il s’est offert le luxe de ne pas être égalitaire.
Si ceux qui nous ont gouvernés de 1962 à nos jours, avaient eu la simple curiosité de jeter un coup d’œil sur les recommandations de Cicéron (106 à 43 avant Jésus-Christ), ils auraient pu apprendre ce qui suit :
1/ les finances publiques doivent être saines ;
2/ le budget doit être équilibré ;
3/ la dette publique doit être réduite ;
4/ l’arrogance de l’administration doit être combattue et contrôlée ;
5/ l’aide aux pays étrangers doit être réduite afin d’éviter à Rome de tomber en faillite ;
6/ la population doit apprendre à travailler au lieu de vivre de l’aide publique.
N’est-ce pas honteux pour tous nos gouvernants de constater que s’ils avaient appliqué des recommandations vieilles de plus de deux mille ans, ils auraient pu préparer un beau pays à leurs enfants ?
Veut-on le changement ? Dans ce contexte, il me plaît de citer le sage Dalai Lama qui simplement attire notre attention sur le fait que, si vous avez l’impression que vous êtes trop petit pour changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique autour de vos oreilles, vous verrez lequel de l’homme ou du moustique empêche l’autre de dormir.
L’optimiste fonce pour le changement. Le pessimiste préfère rester spectateur, comme nous l’avons été depuis 1962 à nos jours. Comme le dit si bien Jean Jaurès, le courage consiste à chercher la vérité puis de la dire. Et comme le confirme Luther King, «avoir la foi, c’est de monter la première marche, même si on ne voit pas le haut de l’escalier».
Le système actuel nous présente des hommes qui nous semblent différents par ce qu’on leur dicte de montrer mais en réalité ils sont tous les mêmes par ce qu’ils cachent. Ils nous cachent qu’ils obéissent à la même enseigne, mangent dans la même main, s’inspirent de la même source et respirent le même mépris qu’ils éprouvent à l’égard du peuple.
L’instabilité que vit Ghardaïa ces derniers mois est une preuve ou de la manipulation ou de l’incompétence du pouvoir -toutes chapelles confondues- à régler le problème. On nous dit que les affrontements relèvent de la confrontation entre Ibadites et Malékites. C’est à croire que les deux communautés viennent juste de se connaitre. C’est la preuve qu’il y a anguille sous roche et qu’il y a bien des intérêts qui ne souhaitent pas la stabilité dans cette ville. A mes frères et sœurs du grand M’zab, je les appelle à pratiquer une recommandation de Boudiaf quand il a dit : «L’Algérie avant tout». Mettez l’Algérie avant tout, et les problèmes, mêmes s’ils sont réels et importants, ils devraient passer après l’unité de l’Algérie et jamais avant l’unité du pays.
De même que l’instabilité qui ronge Tizi-Ouzou et sa région. Là bas il n’y pas d’Ibadites qui affrontent des Malikites. Mais la politique poursuivie dans cette région importante du pays, est entretenue de façon à ne jamais lui permettre de connaitre la stabilité. Sans stabilité, il ne peut y avoir ni dialogue, ni diagnostique de la situation, ni projection de solution. Là aussi, des intérêts bien compris entretiennent l’instabilité pour ne jamais laisser l’Algérie respirer l’air pur et bon que Dieu a bien voulu lui accorder.
Tout cela est bien caché derrière la question essentielle que s’est posée Voltaire quand il a dit : "Pour savoir qui est au pouvoir, demandez-vous qui vous avez peur de critiquer, de qui vous ne pouvez pas parler librement". Voilà la question qu’on devrait se poser tous pour savoir qui critiquer et à qui on devrait attribuer tous les problèmes dont a souffert, le pays dans le passé, dont il souffre actuellement et dont il continuera à souffrir, s’il ne règle pas ce problème fondamental. Car ceux qui ne connaissent pas leur histoire, ne pourront que la regarder se recommencer éternellement.
Enfin, voter dans ces conditions en Algérie, si cela était vraiment bénéfique au peuple, le système l’aurait certainement supprimé car nous sommes dans un pays ou les successifs pouvoirs n’ont fait que dormir et le peuple n’a fait que rêver. Comme le disait si bien Aristote, voiler des fautes par des mensonges, c’est remplacer des taches par des trous.
Arrêtons de nous mentir les uns aux autres et pensons, juste un instant, à ce qu’écriront nos enfants sur l’histoire de ces cinquante ans depuis l’indépendance confisquée, sur les hommes de valeurs que nous avons assassinés, soit par «acte isolé», soit par notre silence complice, sur les milliards de dollars que nous avons gaspillés, sur l’espoir que nous avons ôté à la jeunesse, en la rendant complice de la gabegie structurelle qui qualifie le système algérien depuis qu’il a préféré préparer sa Première Constitution par des ignorants dans un cinéma, au lieu de l’élaborer et la débattre à l’Assemblée nationale sous la direction éclairée de Ferhat Abbas. Dont acte.
Nacer Boudiaf