Les entreprises publiques algériennes interdites de recruter un personnel de qualité
La bureaucratisation du recrutement prive les entreprises et organismes publics de ressources humaines de qualité (DR)
Les entreprises publiques algériennes se mettent progressivement hors compétition dans le recrutement. Ligotées par une règlementation absurde, coincées dans une gestion non performante, accumulant règles bureaucratiques et incompétence, elles ne peuvent plus recruter de personnel de qualité. Ce qui les condamne, à terme, à un recrutement pléthorique mais inutile, à l’origine d’un déséquilibre structurel impossible à dépasser.
Une enquête menée auprès de plusieurs entreprises a révélé « qu’on se soucie plus du respect de la procédure que de l’efficacité ou de l’utilité du recrutement », selon la formule d’un responsable de ressources humaines, qui note que la dérive « s’est installée sur de longues années ». En cause, dit-il, le souci de la procédure et la peur de la hiérarchie, qui obligent à chercher à être en règle plutôt que d’être efficace. Car une règle non écrite, mais largement respectée, fait qu’on peut sanctionner la faute prouvée, mais on ne sanctionne pas l’incompétence avérée.
Pour de nombreuses entreprises, le recrutement de personnel hautement qualifié est devenu impossible. Pour une raison parfois absurde : « on ne peut pas le classifier », nous dit un responsable de ressources humaines dans une grande entreprise.
Lourdeurs bureaucratiques
Les conventions collectives empêchent de recruter un jeune homme bardé de diplômes, reconnait la responsable du recrutement d’une entreprise publique. « Je recrute un ingénieur pour son diplôme, mais s’il a obtenu une licence ou un master en parallèle, cela ne lui rapporte strictement aucun plus », dit-elle.
Deux ingénieurs Bac+5, qui étaient collègues de promotion à l’université, ont été recrutés à 23.000 dinars dans une entreprise publique pour l’un, 29.000 pour l’autre. Dans une entreprise privée, un de leurs collègues perçoit le double. Auprès des entreprises étrangères, la côte monte encore, avec des possibilités de formation et d’émulation très motivantes. Les candidats les plus brillants, ou les plus débrouillards, s’orientent donc vers le privé, au détriment du secteur public, tant que les places sont disponibles. N’atterrissent dans l’entreprise publique que ceux qui n’ont pas trouvé d’autre débouché, déplore un cadre d’un établissement public.
Deux ingénieurs en informatique ont postulé pour des postes dans un établissement public. Le temps que la procédure de recrutement aboutisse et qu’ils soient convoqués, pour être recrutés autour de 30.000 dinars, ils percevaient déjà 50.000 dinars dans une entreprise privée.
Exclusion
La difficulté apparait de manière encore plus aigüe dans certaines filières pointues, celles des grandes écoles, désormais hors de portée de nombreuses entreprises publiques, qui ne peuvent plus s’aligner. Celles-ci sont, de fait, condamnées à la dépendance dans certains domaines, comme l’informatique. Elles sont obligées de tout sous-traiter, car leur personnel manque de densité pour mener à bien de grands projets. Fait aggravant, les titulaires des postes, déjà en place, savent manœuvrer pour empêcher les nouveaux recrutements et éviter toute concurrence.
Les responsables des multinationales installées en Algérie ne s’y trompent pas. Ils agissent différemment : ils envoient des recruteurs dans les grandes écoles, comme Polytechnique, à la fin de l’année, lors des épreuves de soutenance de thèse, où ils proposent des contrats de travail fermes. Les représentants de ces entreprises n’hésitent pas non plus à assister ou à parrainer les cérémonies de remise de diplôme, où ils sont au premier rang pour recruter. Un patron d’entreprise publique n’y pense même pas.
Le savoir dévalorisé
L’obligation de passer par les bureaux de recrutements, comme l’ANEM, conçue pour offrir une égalité de chances, est devenue un véritable handicap. La formule du pré-emploi également. La plupart des établissements publics sont ainsi contraints de recourir à cette formule, offrant 8.000 à 12.000 dinars à des titulaires de licence. Non seulement c’est humiliant, et dévalorisant pour le savoir, mais c’est totalement contre-productif. De plus, la recrue est contrainte à des contrats d’une année, renouvelable trois fois, avant d’être embauchée en CDI, ce qui place la recrue en position de dépendance intolérable pendant de longues années.
Et quand le souci de la procédure s’en mêle, cela devient franchement ridicule, comme le raconte, sous le sceau de l’anonymat, un cadre d’un grand établissement national. Dans une antenne régionale de cet établissement, le responsable de la facturation est parti à la retraite. Le responsable local a été sommé de le remplacer en procédant au recrutement d’un nouvel employé selon le système du pré-emploi. Aucun candidat n’a accepté un poste à 8.000 dinars. Conséquence : l’antenne locale n’établit plus de factures, et ne procède pas aux encaissements depuis de nombreux mois.